Le
projet dreamdrum est
une série de photographies réalisée par l’écrivain et
photographe Thomas Déjeammes. A l’aide d’un clou il gratte,
criture, traiture à même le papier photographique. Il a ensuite
proposé à différents écrivains et/ou poètes de faire un texte à
partir de chacune de ses images. Le résultat de cette correspondance
image/texte sera montré toutes les deux semaines environ
sur http://www.t-pas-net.com/libr-critique/creation-serie-dreamdrum-thomas-dejeammes-didier-calleja/
Le
premier texte, signé Didier Calléja, suit la photo grattée de
Thomas Déjeammes.
La
langue du rasoir crisse de part en part
la
pellicule.
C’était
après.
Elle
s’est évaporée par les murs . Elle s’est évaporée par les
murs. Il n’a pas
compris
qu’elle s’est évaporée par les murs…
Elle
était à la peau — G– un appât de sa vie elle travaille à
l’apoplexus de sa
vie naze-
nasale le genre de goitre qui chavire à toutes les extrémités : sa
maladie
Elle
était mitée vérolée elle n’en pouvait plus elle voulait voir sa
vie en
travers
de travers elle essuyait ce qu’elle pouvait ce qui pleuvait sur
elle elle
blanche
et nappée, vierge prude innocente toute en pureté elle se disait
qu’elle
n’allait
pas rester ici qu’elle se sentait trop à l’étroit ici que sa
blancheur
n’équivalait
pas leurs noirceurs celles des autres elle voulait foncer elle
fonçait
tant
qu’elle pouvait elle n’en pouvait plus elle se disait qu’elle
pouvait qu’elle
devrait
mais qu’elle n’avait pas la chance de rencontrer ce qu’elle
voulait ce
qu’elle
désirait elle avançait désespérément tout contre un mur elle
n’avait
qu’un
mur devant elle elle pensait mur elle n’était plus qu’un mur
contre
lequel
elle s’égosillait de parler de parler d’avoir un peu de ce
qu’elle pouvait
pour
dire dire ce qui au fond d’elle n’en pouvait plus – elle n’en
pouvait plus –
qui
s’écrasait petit à petit contre le mur bien blanc de sa solitude
depuis son
départ
elle ne pouvait pas non plus crier ni murmurer de contre le mur que
c’était
un salaud un sale salaud qui la prenait pour une
brique une brique de
plus
pour son culte de corps – son corps en culte de mur – elle ne
pouvait pas
faire
autrement faire autrement que hurler en silence constamment elle
était
devenue
le silence ce silence qui entend tous les cris des errants de la
terre
tous
les cris d’avant et ceux d’après au fond du ventre elle sentait
le mur
comme
un affront contre son front un mur frontal dans lequel se jeter elle
voulait
traverser traverser le mur le mur le percer devant elle souffler
dessus
ce
carton-pâte de mur un mur invisible et d’autant plus invincible
qu’ elle en
était
la cible qu’elle était devenue la substance vivante de ce mur –
qu’il
l’emmurait
– qu’elle ne pouvait plus parler que les sons ne pouvaient pas
s’échapper
de ce qui était maintenant sa tombe elle tombe doucement elle
tombe
dans sa tombe hors des bombes elle tombe sur le mur de la lèche elle
respire
cet amas de mur lécheur lui lèche le con lui lèche sa sève elle a
décidé
de s’enfuir de s’enfuir de s’enfouir pour ne plus jamais voir
pour ne
plus
crever un jour il faut s’arrêter d’essayer d’essayer de
traverser
l’in-traversable
il lui faut traverser
Lui,
l’autre, le mur, l’a rejoint, essaie il se dit que son mur est un
con que ce
mur
est un zob que c’est un con de mur vide impassible que les femmes
ne
bâtissent
pas de murs là il n’arrête pas de broyer du mur il veut s’épandre
en
poussière pour casser son foutu mur son zob qui l’empêche de voir
de
sentir
d’entendre découvrir ce qu’il ne connaît pas il sent que son
mur se
fabrique
avec sa salive sa sale salive qui féconde le mur que plus il respire
plus
il le monte son mur de brique en brique il ne sait plus comment
l’arrêter
il
se monte tout seul il est omniprésent il sent son mur se monter il
ne peut
plus
trouer ni traverser le mur il crie il crie contre ceux qui pensent
que ce
mur
droit- que son mur droit ploie il n’en peut plus il
ne peut plus passer au
travers
il ne peux plus songer à autre chose que ce mur l’estropie qu’il
ne
peut plus
avancer qu’il est au bord du mur au fond mûr entouré par son
propre
mur qu’il est qui se déploie qu’il se noie
Ils
décident dans le bruit dans le cri qui crisse contre le mur qu’ils
entendent
le noir qui les broie toujours
les mêmes mots qui se déploient
qui
les broient qui se déploient ils s’attirent par le bruit
que
font les bulldozers les machines de l’extérieur des corps de la
vie de la
ville
qui crissent qui craquent et qui fendent ils s’électrisent l’un
à côté de
l’autre
et de l’autre côté vers l’un ils n’ont plus de côtés il se
finissent ils se
tendent
la main pendant qu’elle tombe lui ne veut en aucun cas tomber avec
elle
qui l’attire…
Lui
l’a rejointe
à
l’hôpital on leur dit de se taire ils ne font que faire des bruits
de la
mastication
quand ils mangent quand ils se taisent ce sont des hurlements du
ventre
de leur bas-ventre qui se tendent s’en jamais s’en approcher l’un
vers
l’autre
ils se tendent la nuit d’une chambre à une autre les portes closes
fermées
verrouillées ils se parlent par sons par transmissions des sons de
leurs
pensées ils pensent qu’ils n’ont plus le choix qu’ils peuvent
être eux
-même
leur choix qu’ils se sont choisis pour traverser
Une
nuit ils prennent l’infirmier de service il le prend lorsque
il ouvre la
porte
lui il s’était caché derrière la porte, par l’œilleton
l’infirmier ne le
voyait
pas , il voyageait derrière la porte quand brusquement il sauta
dessus
l’infirmier
qui ouvrait la porte qui criait à travers son il l’assomma très
durement
contre le pied du lit de fer il sonna comme un gong sur le
pied du
lit
de fer qui cloche encore il s’est fait mal à la patte il court
dans le couloir
à
cloche patte il bourdonne sa tête est en feu le son de sa camarade
résonne
en
lui comme un bourdon, la chercher la trouver il ouvre les portes une
par
une
grâce au passe de l’infirmier il passe ainsi de chambre en chambre
d’ouvertures
en ouvertures très rapidement car il ne faut réveiller personne
des
employés – aucun des employés n’est réveillé la chance lui
sourit – il
continue
d’ouvrir les portes de porte en porte un formidable brouhaha se
fait
entendre
les patients sortent bourdonnent ils sont tous là à présent devant
leur
porte ils se ne sachant que faire pour sortir se demandent s’ils
doivent
continuer
à sortir sortir encore – un peu plus – un pas -
il
entrouvre enfin une porte où elle était là à plat assommée par
les
médicaments
il la prend par le col de sa blouse blanche la lève ses
jambes
ne
ne répondent pas il la tire l’attire hors de là en la
traînant hors de la
chambre
en la glissant sur le sol qui l’attire encore elle glisse sur les
dalles
du
couloir
Contre
le mur il prépare sa pioche il pique dedans un premier coup contre
le
mur
un fracas assourdissant se fait entendre les patients crient se
bouchent
tout
ce qu’ils peuvent tout ce qui peut faire office d’orifice de
l’autre côté du
mur
par les brèches que la pioche a façonnées entre
s’infiltre par les fissures
pénètre
une odeur nauséabonde par les brèches pestilentielles depuis
combien
de
temps étaient-ils
enfermés là dedans depuis combien de temps la ville
la
terre entière de ce côté-ci de la terre terrée dans sa nuit
infinie ils ne
savaient pas
que par le trou sous le son s’agrandissait il ne restait plus
d’espace
plein
tout craquait s’écroulait il prend sa compagne tout contre lui la
pose
délicatement
sur ses épaules il l’emmène ils pénètrent le mur ils sortent
une
sorte
de passerelle droit devant eux qu’ils prennent passent la
passerelle
entendent
encore le Big-Ben sonner rager tonitruer ils passent ils passent…
par
dessus le pont ils passent ils glissent vers le son ils glissent
l’eau est
souple
la nuit est vaste on ne voit plus mais qui ne voit plus lui qui voit-
là-seul-elle
un
son de chute du ventre exposé là devant et dedans sa mémoire vide
qui
glisse
et deux trois vêtements flottent remontent à la surface bombe, ils
ont
traversé
elle nue- luit… lui regarde ne bouge pas ne respire pas inerte au
plongeon
de sang coulée de son sang rouge dans la nuit sur eaux… fleuve…
coule…
ils
ont traversé il a développé l’image dans conscience il
a laissé échapper
visage
ne peut plus la retenir il est là dans son dos avant son
dos d’avant
son
arrière dos qui avance qui traverse son dos sans visage elle ne
ressemble
plus
à ce qu’il croyait être il glisse son rasoir dessus tout contre
sa peau il
plonge
le rasoir sur son dos et ses vêtements blancs lacérés par le
rasoir elle
tombe
dans- lui reste là sur le côté elle tombe dans en amont sur le
môle
d’avant
elle tombe glisse entre le pont et l’eau lui il ses mains coulent
son
sang
d’elle elle tombe sur sa peau il n’est plus déjà plus tandis
qu’elle
traverse
nue broyée hors de son mur au cœur du fleuve silence de la nuit son
rasoir
tombe fracas résonne c’était avant avant que lui qu’elle lui
dise la
pellicule
est intacte il la palpe la caresse toujours là elle de dos devant
lui
elle
longtemps plongée traversée des deux mondes elle l’a traversé
seule
lui
là resté muet
regarde
elle
a traversé
elle
l’a traversé …
DKP/didier Calléja
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