J’ai
vu les oiseaux voler à l’envers
Le désordre amoureux. Nouer, ou dénouer. Selon. La ville. L’hiver. Des voitures longent les vitrines du bar, le mouvement sans cesse.
On a joué la guerre, de nouveau. Après avoir rasé, la messe dite, les vitrines baissées, le business continue et la caravane trépasse. Enfin, ils essaient de l’encercler, comme à l’époque, les Indiens. Ai-je acheté le programme, l’heure des festivités, pas besoin, la télé dégueule, me sert, à domicile.
Nous faillîmes périr plusieurs fois, à New-York, à Toulouse, à Kaboul. La parano à tout étage.
Nous étions dans la gueule du monstre qui dégueule l’histoire, et la poubelle de l’histoire. Un monde de cul-de-basse-fosse, où des silhouettes arrachées de ventres d’avions mous, avancent, enchaînées, cagoulées, avalées dans une nuit bleutée.
Fantômes erratiques aux lits sanglés, aux jours cachetonnés. Et vous voudriez cultiver l’optimisme ? Plus trop. Enfin, je m’entraîne quand même, allez savoir, ça peut servir.
Si je compte survivre, quelques nuits étoilées, deux-trois tours de pistes, sur un air de fanfare, et le tambour qui retentit, and now, ladies and gentlemen, the show must go on.
Et l’histoire se chargea une nouvelle fois de brouiller la donne. 11 septembre. New-York. Les Twins en flammes qui s’écrasent. Papa, j’ai essayé de te téléphoner plusieurs fois, il se passe quelque chose à New-York. Et moi, finaud, que veux-tu qu’il s’y passe ? 21 septembre. Toulouse. 10:20. Je venais d’un footing, entrais dans la cuisine pour jeter un œil à mon chrono-réveil. La porte fenêtre s’ouvre, et moi, dans une vague d’air, je chaloupe. Voisin du préfet, je pensais donc aux Corses. L’antiquaire, dans la cour, portable vissé à l’oreille, penchait pour Ben Laden. Et nos rues, vingt minutes après, baignaient dans l’ammoniaque. J’étais parti aux nouvelles avec mon fils, je n’avais pas pensé refermer les fenêtres. Des gens, dans la rue, quelques blessés. Après CNN, N-Y, je scotchais Toulouse, FR3, TLT. Fallait rester chez soi, confiné. Je me disais, si je vois un mec porter un masque, mon compte est bon.
Je
me résignais à la disparition.
Le
Premier ministre livre son arbitrage. AZF ferme. Le reste du pôle
chimique doit vivre.
Je
me souviens. Toulouse. Ville morte. Restez chez vous, Dieu
reconnaîtra les siens. De onze heures du mat à cinq heures, la télé
entre les oreilles, le Maroc dans les bronches, et un linge mouillé
sur le nez, en alternance. Et la ville bloqua. Nous fîmes un peu la
gueule durant une semaine. Parler du bonheur d’être encore vivant,
c’était se réjouir du sort des trente morts, des dix mille
blessés, et des traumatisés.
Nous
faillîmes, comme en 14, périr du gaz, le phosgène.
Je
me souviens. Je vivais au dessus de l’usine du Lacq. Grosse fuite.
Populations avoisinantes déplacées. Nous étions en hauteur, nous
ne risquions rien. Le gaz est plus lourd que l’air. A la suite de
cet incident, nous eûmes droit au masque à gaz. J’étais enfant.
Je grandis. Mon masque dilatait très peu.
Et
je vins à Toulouse, croyant échapper à un destin tracé. Et puis,
j’eus comme un doute. J’étais invité - décision judiciaire - à
renouveler mon stock de plumes d’ange à Marchant. Vous voyez cette
plume, c’est une plume d’ange. Un ange était là. J’errais,
cachetonné, je jouais les pendules, bouffais des madeleines que ma
sœur m’amenait par brassées. Et, en face, l’usine. A quoi on
échappait. Les neuneus en tout genre. On savait que ça pouvait
péter. On avait donc servi, à domicile, l’accident de travail.
Marrant, surtout de loin.
Mes
semelles de vent sur le bord de Garonne. Empalot. Nous nous étions
croisés vingt minutes avant. Avec ses deux chiens, il allait vers
l’usine. Il entendit une première explosion, s’accroupit,
instinctivement - les chiens aussi - mains sur les oreilles. J’ai
vu les oiseaux voler à l’envers. Je ne le reverrai sûrement
jamais plus. Sale temps pour les anges. Et les neuneus, livrés aux
quatre vents, leurs silences éclatés.
Nous
eûmes droit à la grand’messe, musique solennelle, la parade des
chefs. Nous fûmes, un temps, cause nationale.
Et
la Garonne file, serpent d’eau dans la ville. La mémoire se fige,
et la vie continue. Le même plan joué depuis des siècles. Ils
inscrivent l’histoire dans nos chairs, récusent notre présence.
Le temps nous a appris à nous méfier des maîtres.
Ai-je
l’esprit tranquille ? L’usine ayant sauté, c’est un souci de
moins. Et la guerre est finie. Une jolie croisade qui occupe le ciel,
et qui gentiment rase. Du monde, dessous, plus trop. Et nous,
question croisade, faut plus nous en promettre. On a donné, il y a
longtemps. Certains voulaient penser leurs vies, à leur façon.
Nulle trace. La mort au goût de cendres, et le vent, pour allié à
l’oubli.
Ville.
Rose. Briques de rues aux airs d’eau qui filent et chaloupent. Le
flux, le flot des gens. Et des regards qui portent, embrasent dans ce
dédale de hasard. Ville ouverte, fermée. Ruelles vagabondes, des
porches entr’ouverts, des ondes de verdure. L’air du temps. Un
hiver facétieux. Glacial avant qu’il tombe, puis clément, presque
doux. La vie dans un miroitement de fleuve. Aux écailles
changeantes. Aux eaux, soumises aux nuages, à la neige, à la chimie
aussi. Un drôle de mélange. Et le chant des oiseaux, dans les
cours, l’été. Sinon, des pigeons à l’année, volent et se
posent à deux, dans des niches de pierre.
Et
des yeux, que j’attends, que j’espère. Comme un reflet d’amour
en cours.
Jean-Claude
Solana
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